La Dame en noir

Tous les jours elle me sourit et tous les jours je la salue.
C’est comme ça… notre petit rite matinal, notre chanson à nous, sa façon de me dire « tu vois, je suis là, je t’attends, aujourd’hui encore »…
Elle me parait si petite et si fragile que je crains toujours un violent coup de vent, un méchant rhume, un mauvais rêve … Et pourtant…
Son fauteuil en a vu passer des paires de chaussures… des souliers neufs tout brillants et bien cirés, des talons hauts pas toujours assurés, des bottes en caoutchouc toutes crottées, des baskets délacées, des godillots usés, des sandales trouées…
Ses yeux en ont vu passer des gens… des pressés, des abrutis, des malpolis, des souriants, des pleurants, des déjantés, des désorientés, des tranquilles, des énervés…
Son chien en a vu passer des copines… des errantes, des intéressées, des pimbêches, des « à croquer », des abandonnées, des mal embouchées, des déprimées, des cinglées…
Son cœur en a vu passer des hommes… des aimables, des affables, des grossiers, des allumés, des déracinés, des blessés, des passionnés, des pleins de respect, des enterrés…
Ses mains en ont caressés des corps… des abîmés, des gonflés, des maigrelets, des tout musclés, des endiablés, des jamais oubliés…
Sa tête en a amassé des souvenirs… des poignants, des lointains, des émouvants, des heureux, des éternels, des usants, des tuants…
Je me dis qu’un jour, elle m’aura posé un lapin, elle se sera fait la belle, elle aura claqué sa dem’, elle m’aura joué un vilain tour… elle me laissera seule, sans un mot, sans une explication, sans avoir à se justifier…
Et tous les matins, juste après le virage, je regarde au loin, je scrute, je guette…
Oui, elle est toujours là ! Assise dans son fauteuil, son chien sur les genoux, devant sa porte à la peinture cloquée…par tous les temps, elle veille… ratatinée, plissée, froissée, chiffonnée mais le regard lucide, les lèvres retroussées, le visage fardé et le cœur en alerte…

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