Plongeon

Sur un câble suspendu entre nos tours d’ivoire, j’avance en équilibre à pas feutrés. Un faux mouvement, un souffle trop lourd et c’est la chute. Autour de moi le vide, renvoyant en écho mes peurs artificielles, aspirant mes vertiges pour mieux les disséquer. La distance est réelle, l’envie irrésistible, de glisser sur l’acier et me brûler les doigts, de rougir de mon sang ce fil métallique, d’arriver chair et os jusqu’à ces barricades.
Cette pensée s’évapore dans le ciel de mes doutes, comme bien d’autres avant elle m’avaient barré la route vers ces terres mystérieuses.
Mes bras en balancier, je me fige immobile, en suspension dans l’air du temps, en retenue sur les jours qui défilent.
Je me fabrique une passerelle d’illusions, les cordes y sont fragiles et le bois vermoulu, mais pour atteindre cette tour, je prendrais tous les risques.
Celui de la laisser dans un tiroir secret, double fonds et cadenas, dont la clé a fondu dans le feu torride de mes souvenirs.
Celui de la garder comme un trésor caché dans la soute d’une épave engloutie par les flots, un océan de larmes.
Celui de la percer, cristal ou verre trempé, et même de la briser, éclats éparpillés, miettes translucides.
Les jambes tétanisées, je regarde vers le haut, aperçois le duvet d’un nuage floconneux, les ailes d’un oiseau qui survole la scène et plonge dans cet abîme. Sa vitesse m’impressionne, me fais tourner la tête, je vacille, il m’entraîne, grand saut vers l’inconnu, détour inattendu.
La forteresse s’éloigne et devient dans l’envol un point minuscule. Tout est à refaire, le chemin à l’envers, le pont à reconstruire, le coeur à calmer, la tête à garder froide, le corps à maîtriser, le souffle à retrouver.

Commentaires

Anonyme a dit…
Pourquoi que tu fais rien qu'à faire des notes qui m'émeuvent et me rappellent un certain passé ?
:-)

Dans certaines de tes notes, j'ai l'impression de lire une partie de ma vie, en grande partie celle ... qui semble avoir disparu !
Bridget a dit…
@Laurent :
Tu parlais toi-même chez toi l'autre jour de lectures à plusieurs niveaux et des interprétations possibles d'un texte en fonction de son propre vécu personnel, nous y sommes :-)
Bon dimanche Laurent !
Anonyme a dit…
Tu veux dire que ta connaissance + mon passé font un harmonieux ensemble ? :-p
Fishturn a dit…
Quand j'étais môme et que j'avais de la fièvre, je faisais toujours un cauchemar qui ressemblais comme deux gouttes d'eaux à ton texte. Et le fil c'était juste la terre (plate) qui s'était mise à pivoter sur le côté. Me tenant en équilibre sur la tranche. Peur du vide, tomber au Néant...Juste tenir le plus longtemps possible, avancer jusqu'a ce que tout se redresse. Je me reveillais en hurlant.

Perturbant...
Bridget a dit…
@Laurent :
Harmonieux... je ne sais pas ! Nos perceptions et ressentis sur ce que nous traversons ou avons vécu peuvent se rejoindre oui ;-)

@Fishturn :
Perturbant c'est sûr et désolée d'avoir réveillée ce cauchemar... Dans mon cas, j'ai bien quelques interprétations possibles de ces images produites par mon inconscient, mais c'est une autre histoire...
Anonyme a dit…
Bonsoir Bridget (bonsoir les autres aussi :-)),
Me revoilà à picorer chez toi. Qu'elles soient amères ou pétillantes, tes graines sont très savoureuses.
Pour ce soir c'est "Plongeon" que je vais suçoter (mais j'ai failli choisir le Dandy). Très jolie métaphore funambulesque de la rencontre avec l'Autre. J'apprécie particulièrement la chute. Non, non, pas celle de la passerelle, celle du texte : cette évidence qu'il faut recommencer, que ce sera donc de nouveau à notre portée...

Bises m'dame (et merci pour le retour que tu as fait à ma première visite)

(bises aux autres aussi, bien sûr ;-) )
Bridget a dit…
@Marie-Catherine :
Je vois que tu explores les archives, c'est impressionnant :-) ! Tu as touché un point sensible en t'arrêtant sur ce texte, merci beaucoup de cette vision partagée ;-) Bises à toi.

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