Victoire
Elle s’appelait Victoire ma Grand-mère. Je n’ai
jamais bien su si c’est parce qu’elle était née un 25 décembre ou parce qu’on
lui prédestinait un tempérament de battante.
De ces femmes qui arrivent au bout de leur vie en
ne possédant rien mais en ayant tout donné.
D’abord à son mari, fils d’immigrante espagnole
arrivée dans notre plat pays rêvant d’une vie meilleure. Pour lui ce fut
l’usine, le verre et sa poussière. Fatale infiltration au cœur de ses poumons.
Victoire n’en parlait jamais de son homme, juste un hommage dans la vitrine de
son buffet, une photo noir et blanc, un ovale mortuaire, le menton y était
droit, le regard fier. L’intelligence au bout des doigts me disait-on. Le sens
de la musique, pas question de solfège, banjo ou mandoline, plutôt une question
de racines. Le fusain comme une arme, pour mieux se révolter, il est parti trop
tôt, grand-père à inventer.
Huit bouches à nourrir, 6 garçons 2 filles,
c’était son héritage. Les plus grands au turbin : à 14 ans allons bon, ça forge
le caractère ça muscle la carcasse. Les bleus revenaient noirs, de crasse et de
fumée, lessive à tours de bras pour Victoire et ses filles. La maisonnée
vivait, sans strass ni paillettes, poule au riz le dimanche, soupe aux navets
en semaine. Victoire a pris des chiens pour remplacer son homme, l’un deux
s’appelait Gipsy, un bâtard aux poils d’or, le seul dont je me souvienne.
Bien avant son fauteuil, Victoire allait venait,
du couloir au jardin, des fourneaux à la télé.
L’hiver, c’était cuisine, bataille rangée de
cartes et 45 tours en boucle. L’odeur du caramel, posé à même la tôle, qui
cuisait doucement, sucre et sel mélangé, douceur et chaleur mêlées.
Les peaux de clémentine qui séchait sur le poêle,
gavé de charbon, distillaient leur essence, chatouillaient nos narines, embaumaient
la maison. Une maille à l’endroit, la deuxième à l’envers, les aiguilles sous
les bras, la patience remontée, elle a bien essayé… désolée Mamie Vic, j’ai
fait ce que j’ai pu, mais les aiguilles et moi, on ne s’est jamais revues…
L’été c’était dehors, tout au bout du jardin, un
long couloir en friche qui menait aux rails convoités. Le fameux chemin de fer,
et la barrière au loin, assis sur le talus, on attendait le train. Des wagons
rouillés, remplis de marchandises, allure préhistorique, trésors à deviner.
Un bonjour aux voisins, Flora nous attendait, les
poches pleines de bonbons, le noir pour seule couleur. Les veuves se
ramassaient à la pelle dans ce coron désuet, celle-ci perdit la boule mais
jamais son sourire.
Venait le temps des cerises, que l’on allait
cueillir, au verger de la ferme, à quelques enjambées. Echelle, panier d’osier,
fruits juteux et fous rires. Retour et confitures, nos bouilles de peaux rouges
fripouilles, prises en flagrant délit.
Un jour, le fauteuil est venu, ultime compagnon. Le corps usé mais la
tête dure, Victoire s’y est assise et a continué. Le reste, moins pittoresque,
je l’ai laissé dormir, mémoire très sélective, dans le dédale de mes souvenirs.
Commentaires
Victoire, c'était aussi le nom d'une aieulle, mais bien plus lointaine !
Si je compte bien, ça doit donner Arrière-Arriere-Grand-mère !!!
Ma mère, ma grand-mère, son père et la mère de son père !
Soyons honnête : je n'ai pas connu sa vie !
Tout au plus que son mari était valet de maître dans une Grande maison et portait la cape et le haut-de-forme ! :-)
Quant à elle, une vieille photo retrouvée lui donne un visage d'une grande dureté !
http://propos-de-lui.hautetfort.com
Oui, un moyen de faire en sorte aussi que ces personnes qui nous ont aimé ne tombent pas dans l'oubli, parce qu'ils ne sont plus à nos côtés depuis tant d'années déjà...
@Laurent :
Les photos de l'époque devaient être prises très au sérieux, on ne rigolait pas svp ;-) !!
Mamie Vic avait un caractère un peu "tête de bois" parfois mais elle adorait aussi rire et faire des farces à tous ceux qui voulaient bien se prêter au jeu :-)
Amicalement
Depuis longtemps l'envie me prend d'écrire quelques mots en hommage à celle qui m'a fait grandir. Un héritage qui ne se voit pas, qui se ressent en moi comme une douce signature.
J'ai surtout la chance de l'avoir encore à mes côtés, son ouverture d'esprit intact...
Le mari de Victoire, donc le grand-père de ma grand-mère, était un homme charmant, d'une gentillesse et d'un sourire constant !
Rien que son visage en photo me fait sourire, malgré sa longue barbe blanche !
Malgré la photo d'époque !
Et ma grand-mère et d'ailleurs moi-même avons hérité de ce don du "sourire de sang" qui fait sourire les autres ... en nous-mêmes !
Il n'y avait que Victoire à donner envie d'être sérieux !
C'est une véritable biographie en ce qui concerne Madeleine ! J'y retournerai avec grand plaisir pour remonter le temps avec toi :-)
Merci Christine.
@Jean :
Très touchée ! Merci Jean.
@Katy :
Alors profites-en bien surtout ! Quant à ton hommage, je suis sûre qu'il sera à la hauteur de celle qui t'a déjà laissé une belle empreinte ;-) Merci Katy.
@Laurent :
le sourire du dedans, je n'en doute pas une seconde en ce qui te concerne ;-))
Ton texte m'a émue.
Je profite du passage pour te souhaiter aussi, chère nouvelle amie virtuelle, un très beau Noel !
A bientôt !
Beaucoup de belles choses à toi aussi pour ces Fêtes de Noël ! Merci de ton passage et pour tes mots :-)
@Balmeyer :
Bienvenue sur cet espace et merci beaucoup de partager ces émotions. J'apprécie beaucoup ton blog également, vision décalée pleine d'humour. A bientôt donc !
Etreinte est l'anagramme d'éternité, et ta grand-mère, comme la mienne (ah cette mamie "Framboise" ), restera pour l'éternité dans l'étreinte de tes pensées.
Merci pour ce bijou d'émotion et les souvenirs qu'il a fait briller dans son sillage...
Tout dépend de la définition que l'on donne à "être heureux", elle est si différente pour chacun d'entre nous et si changeante selon l'âge que l'on a ;-) !
Merci de ton passage Raumine et à bientôt.
@Koryfée :
Tu es donc revenue ;-) ! J'aime à penser qu'elles vivent encore à travers nous oui ces Mamies aimées... Merci de tes mots Koryfée :-))